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DOCTEUR BACAR AHMED N’EST PLUS L’Archipel perd un pionnier du système de santé comorien

"Avec l'accord d'Anssoufouddine, je publie in extenso son hommage au Docteur Bacar qui vient de nous quitter. Un texte brillant dont le caractère éducatif est incontestable"

Docteur Bacar Ahmed n’est plus. Ce médecin laisse orphelin le monde de la médecine comorienne. C’était un médecin au sens encyclopédique d’une médecine d’une certaine époque. Alors jeunes toubibs, mes confrères et moi étions toujours éblouis par son attachement indéfectible aux valeurs de l’éthique et de l’humanisme. Ces valeurs tenaient dans un vaste savoir éclectique alliant Histoire, philosophie, littérature...

Ne croyez pas qu’à mon époque pour devenir médecin, il fallait juste bosser sur les matières scientifiques”. Nous disait-il.


Fort de ce bagage , Docteur Bacar en plus d’avoir été un médecin vertueux, débordant d’altruisme et de spiritualité, il reste à ce jour le médecin le plus diplômé de l’Archipel.

Cet ancien de la faculté de médecine de Montpelier est Diplômé National de Pédiatrie, d’hématologie, d’hygiène hospitalière, de léprologie et de puériculture.

Loin de croire qu’il s’agit d’un décorum de diplômes inopérant tel que nous le vivons par les temps qui courent aujourd’hui, le jeune Bacar Ahmed de l’époque , lui , se savait investi d’une mission et non des moindres. Son pays venait de sortir d’une longue nuit coloniale, en dehors du Service des Grandes endémies, il n’existait pas de système de santé publique au sens digne du terme. Le paludisme, la filariose, le pian, les maladies diarrhéiques tuaient à flot. L’espérance de vie du comorien était de 50 ans.


Rentré au pays en 1978, tel un général , il va faire usage sur la ligne du front de tous ses grades , et, il va contribuer avec ses collègues de l’époque à faire entrer dans la modernité le système de santé comorien. Ils mirent en place les premiers programmes de santé du pays. Après la mise en place le Service de Pédiatrie de Moroni, Docteur Bacar ouvrit en 1984 le Service de Pédiatrie de Hombo. Dans la même lancée l’école de santé de Moroni vit le jour.


Docteur Bacar était un des pionniers incontournables de cette école qui a formé les paramédicaux qui font fonctionner le système des soins comoriens depuis 40 ans. Ses élèves gardent le souvenir d’un maitre exigeant, bienveillant et protecteur. Le week-end, il les invitait à manger chez lui, les écouter, chercher à comprendre leurs problèmes.


Son autre cheval de bataille, l’éducation à la santé. La voix radiophonique, grave et magistrale du Docteur Bacar, couplée à celle fluette et balbutiante de Madame Affandi , a en plus d’avoir marqué l’imaginaire de plusieurs générations de comoriens , changé jusqu’au fin fond du pays les comportements nocifs.


A peine de retour au pays , lui et son frère d’arme Docteur Islam, firent face au début des années 1980 à une épidémie de rougeole qu’ils contrôlèrent rapidement. Rien à voir avec celle de 1969 où sous colonisation française les enfants mouraient en masse.

Grâce à leurs efforts, les Comores font partie des tout premiers pays du Continent à avoir éliminé la variole.


Avec tout ce travail de réflexion globale en termes de stratégie et d’organisation du système de santé, Docteur Bacar avait le temps d’être omniprésent sur le lit des malades matin et soir. C’était un rituel pour lui de toujours passer voir ses patients hospitalisés , le soir. Au cours de ces passages nocturnes , le toubib reconnaissait les patients angoissés et sans crier gare , tel un prestidigitateur , il sortait de sa gibecière de ces histoires insolites et comiques propres à détendre l’ambiance morbide des salles. Dans les situations de souffrances extrêmes , nous le voyions entrer dans un état second en train de lire sans discontinuer coran et invocations…


Le pays étant encore très limité en ressources , sa conscience l’obligeait à être le médecin de jour , le médecin d’astreinte , le médecin de garde. Il était le pédiatre, l’endocrinologue, le cardiologue , l’interniste...


Et en ce sens , il fut un vrai artiste de la médecine.


Un jour alors que nous parcourions l’île , une collègue (Dr Zahara) l’interpela:

  • Docteur Bacar , j’ai vu en consultation un bébé qui ne grandit pas du tout et le comble , le bébé pleure en faisant miaou, miaou comme un chat.

Un confrère camerounais ( Dr Fouda Benjamain) qui était avec nous s’exclama:

  • Dr Zahara , tu exagères ! C’est bien de présenter le malade mais aller jusqu’à reproduire sa façon de pleurer, tu me fais rire!

Docteur Bacar sursauta et dit:

  • De toute la présentation de Dr Zahara , l’élément le plus important c’est ce miaou, miaou car ce bébé peut souffrir d’une maladie génétique appelée Maladie de cri de chat.

Nous nous sommes regardés furtivement , pas très convaincus par le doyen. Nous n’avions jamais entendu parler de cette maladie.

L’histoire passe et un an après.

La maman du bébé revient pleurnichant : j’ai pris le kwasa . J’ai été évacuée à la Réunion et on m’a dit que rien à faire mon bébé a une Maladie de cri de chat.


Des cas de diagnostics compliqués comme ça , que Docteur Bacar posait intuitivement d’un tour de main avec la clinique, il en a à foison! On en écrirait un livre! C’était un vrai mandarin.


Il accordait une attention particulière aux patients issus du petit peuple et du monde de la paysannerie. Il mettait discrètement la main dans sa poche et payait les médicaments des indigents..


Le sacrifice de soi est la condition de la vertu. Disait Aristote.


Docteur Bacar s’est presque sacrifié pour la nation. Nombre de ses promotionnaires avaient préféré se la couler douce en Europe ou briller dans les organisations internationales.

Il était promotionnaire de grandes sommités du monde médical africain et malgache tels le Professeur Hyppolyte Agboton du Benin ancien Président de la Société Panafricaine de Cardiologie ( PASCAR) , Roland Denis Rakotoarimanana Professeur de pédiatrie et ancien doyen de la faculté de médecine d’Antananarivo.


L’homme assumait ses convictions intellectuelles au risque de se mettre à mal avec ses semblables. En 2002 , il était président de jury du concours d’entrée à l’école de santé.

Pour des questions de clocher , depuis deux ans l’on avait établi un quota par île pour les admissions en premières années.

Résultat des courses , selon l’appartenance insulaire du candidat , il y avait des candidats qui redoublaient avec des moyennes de 12 et des autres qui passaient avec des moyennes de 7.

Docteur Bacar s’imposa et dit : le mérite ou rien!

Pour nous autres qui avons passé toute notre vie à préparer des concours depuis le CEPE , nous connaissons la douleur et le sacrifice d’un jeune qui prépare un concours.” Avait-il lancé sur la face du jury.

Il eut un bras de fer dans le jury. Il refusa de délibérer . Cette année-là , il n’eut pas de classe de première année à l’école de santé .

Aux états généraux de la santé de 2002 , Docteur Bacar Ahmed fondit en larmes en pleine allocution au Palais du Peuple, en évoquant la déliquescence et la pertes des valeurs chez les jeunes praticiens. Comparant le pays à une jarre trouée , il conclut son propos par un proverbe du roi d’Abomey :

Si tous les enfants du pays venaient, par leurs mains assemblées, boucher les trous de la jarre percée, le pays sera sauvé”

Les morts ne sont pas morts disait Birago Diop.

Ta mémoire, cher Maitre est là pour nous guider, et nous espérons porter haut , très haut le flambeau.

Que la terre te soit légère!

Docteur ANSSOUFOUDDINE Mohamed

Cardiologue CHRI Hombo


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