Nouveau naufrage meurtrier d'une barque transportant des immigrants dans les parages de Mayotte. C'est le quatrième en quatre mois. L'opinion ne semble guère s'émouvoir. L'horreur s'est banalisée. L'horreur (...). L'océan ne rend pas toujours les corps. Dans les quatre îles des Comores, dans la diaspora comorienne à La Réunion comme en métropole, des hommes, des femmes, des enfants pleurent la perte d'un parent, d'un enfant, d'un ami... Le peuple frère des Comores en Indiaocéanie est atteint dans sa chair et ce drame frappe nos frères et nos sœurs en humanité.
La banalisation. Une dépêche rend compte du tragique événement. On en parlera un jour ou deux. On aura droit à un énième communiqué disant l'émotion des autorités. La justice se montrera plus sévère pour le pilote de la barque – le passeur – s'il a survécu, pour « mise en danger de la vie d'autrui ». Et on continuera, jusqu'au prochain drame, une politique contre l'immigration « clandestine » inique, coûteuse, inefficace et inhumaine. Les déplacements de population entre les îles de l'archipel des Comores remontent à la nuit des temps. Ils se sont poursuivis librement après qu'en 1975 Mayotte a choisi de rester française quand les trois autres îles des Comores accédaient à l'indépendance.
C'est en 1994 qu'est mis en place un visa pour les ressortissants comoriens qui veulent entrer à Mayotte. Un visa délivré au compte-gouttes. Les migrations traditionnelles deviennent alors « clandestines » et dangereuses. L'écart de développement s'accentuant entre Mayotte et le reste des Comores, elles deviennent aussi des migrations « Sud-Nord ». C'est ce « visa Balladur » qui met en danger la vie d'autrui. Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur demande en juillet dernier sa suppression sans être entendu. Deux naufrages meurtriers ont encore eu lieu depuis. Espérons qu'ils n'empêchent pas l'initiateur et les défenseurs du « visa Balladur » de dormir.
Tous les moyens sont déployés pour lutter contre cette immigration « clandestine » : des radars, des vedettes, des patrouilles interdisent l'accès par mer à Mayotte, « citadelle assiégée par les gueux » pour reprendre une expression journalistique. A terre, la chasse aux « clandestins » mobilise presque toutes les administrations de l'Etat au détriment de leurs missions premières. Police, gendarmerie, justice, inspection du travail, services économiques, sanitaires, sociaux, scolaires, tous ont une composante « immigration » souvent prédominante dans leur activité. Le coût de la lutte contre l'immigration est estimé officiellement à 65 millions d'euros par an en 2005. Pourtant cette politique coûteuse est inefficace.
On expulse chaque année autant d'immigrés de Mayotte qu'il y a de reconduites à la frontière en France (25000- 26000), soit plus de 10 % de la population mahoraise. Avec le temps, Mayotte devrait être devenue à moitié vide. Elle reste une île bien pleine. Les « expulsés » reviennent. A leurs risques et périls.
Enfin, cette politique est inhumaine et dangereuse. Il y aurait 40 % d'étrangers à Mayotte. Ils occupent une place essentielle dans certaines activités, tout en étant presque toujours exploités, souvent dénoncés, parfois pourchassés. On leur refuse l'aide médicale d'Etat existant en France. Des enfants dont les parents ont été expulsés sont livrés à eux-mêmes. Les conditions matérielles de l'expulsion des étrangers ont souvent été dénoncées. Une législation d'exception perdure à leur encontre. Ces étrangers ont tissé des liens familiaux, économiques, sociaux avec le reste de la population. Cependant malgré les liens séculaires de parenté, malgré une culture comorienne partagée, le sentiment anti-immigrés grandit à Mayotte. La xénophobie d'Etat qui s'est instaurée depuis dix ans qu'en France la politique d'immigration se fait sous la dictée du Front national, s'est déployée sans vergogne dans l'isolat mahorais, se distillant à tout le corps social.
La situation actuelle est dommageable aussi bien pour nos compatriotes mahorais que pour nos frères immigrés. Il faut changer de politique, tout remettre à plat. Des solutions existent, préconisées par des associations, des élus... Une nouvelle politique comporterait trois axes : la mise en place du droit commun ; la gestion humaine d'une immigration mal maîtrisée ; et surtout, la mise en œuvre d'une politique de co-développement avec les Comores, afin de stopper à la source le phénomène migratoire. Tout le monde prône depuis vingt ans cette dernière orientation. Elle peine à entrer dans les faits : le gouvernement français dépense annuellement 65 millions d'euros pour lutter contre l'immigration clandestine à Mayotte mais ne consacre que 20 millions d'euros à la coopération avec les Comores... Mayotte, c'est si loin et les Comores, çà compte si peu, diplomatiquement et économiquement. Ce n'est, hélas, pas demain que les parages de Mayotte cesseront d'être le plus grand cimetière marin du monde
Wilfrid Bertile Ancien secrétaire général de la Commission de l'océan Indien (COI) Source : clicanoo.re
La banalisation. Une dépêche rend compte du tragique événement. On en parlera un jour ou deux. On aura droit à un énième communiqué disant l'émotion des autorités. La justice se montrera plus sévère pour le pilote de la barque – le passeur – s'il a survécu, pour « mise en danger de la vie d'autrui ». Et on continuera, jusqu'au prochain drame, une politique contre l'immigration « clandestine » inique, coûteuse, inefficace et inhumaine. Les déplacements de population entre les îles de l'archipel des Comores remontent à la nuit des temps. Ils se sont poursuivis librement après qu'en 1975 Mayotte a choisi de rester française quand les trois autres îles des Comores accédaient à l'indépendance.
C'est en 1994 qu'est mis en place un visa pour les ressortissants comoriens qui veulent entrer à Mayotte. Un visa délivré au compte-gouttes. Les migrations traditionnelles deviennent alors « clandestines » et dangereuses. L'écart de développement s'accentuant entre Mayotte et le reste des Comores, elles deviennent aussi des migrations « Sud-Nord ». C'est ce « visa Balladur » qui met en danger la vie d'autrui. Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur demande en juillet dernier sa suppression sans être entendu. Deux naufrages meurtriers ont encore eu lieu depuis. Espérons qu'ils n'empêchent pas l'initiateur et les défenseurs du « visa Balladur » de dormir.
Tous les moyens sont déployés pour lutter contre cette immigration « clandestine » : des radars, des vedettes, des patrouilles interdisent l'accès par mer à Mayotte, « citadelle assiégée par les gueux » pour reprendre une expression journalistique. A terre, la chasse aux « clandestins » mobilise presque toutes les administrations de l'Etat au détriment de leurs missions premières. Police, gendarmerie, justice, inspection du travail, services économiques, sanitaires, sociaux, scolaires, tous ont une composante « immigration » souvent prédominante dans leur activité. Le coût de la lutte contre l'immigration est estimé officiellement à 65 millions d'euros par an en 2005. Pourtant cette politique coûteuse est inefficace.
On expulse chaque année autant d'immigrés de Mayotte qu'il y a de reconduites à la frontière en France (25000- 26000), soit plus de 10 % de la population mahoraise. Avec le temps, Mayotte devrait être devenue à moitié vide. Elle reste une île bien pleine. Les « expulsés » reviennent. A leurs risques et périls.
Enfin, cette politique est inhumaine et dangereuse. Il y aurait 40 % d'étrangers à Mayotte. Ils occupent une place essentielle dans certaines activités, tout en étant presque toujours exploités, souvent dénoncés, parfois pourchassés. On leur refuse l'aide médicale d'Etat existant en France. Des enfants dont les parents ont été expulsés sont livrés à eux-mêmes. Les conditions matérielles de l'expulsion des étrangers ont souvent été dénoncées. Une législation d'exception perdure à leur encontre. Ces étrangers ont tissé des liens familiaux, économiques, sociaux avec le reste de la population. Cependant malgré les liens séculaires de parenté, malgré une culture comorienne partagée, le sentiment anti-immigrés grandit à Mayotte. La xénophobie d'Etat qui s'est instaurée depuis dix ans qu'en France la politique d'immigration se fait sous la dictée du Front national, s'est déployée sans vergogne dans l'isolat mahorais, se distillant à tout le corps social.
La situation actuelle est dommageable aussi bien pour nos compatriotes mahorais que pour nos frères immigrés. Il faut changer de politique, tout remettre à plat. Des solutions existent, préconisées par des associations, des élus... Une nouvelle politique comporterait trois axes : la mise en place du droit commun ; la gestion humaine d'une immigration mal maîtrisée ; et surtout, la mise en œuvre d'une politique de co-développement avec les Comores, afin de stopper à la source le phénomène migratoire. Tout le monde prône depuis vingt ans cette dernière orientation. Elle peine à entrer dans les faits : le gouvernement français dépense annuellement 65 millions d'euros pour lutter contre l'immigration clandestine à Mayotte mais ne consacre que 20 millions d'euros à la coopération avec les Comores... Mayotte, c'est si loin et les Comores, çà compte si peu, diplomatiquement et économiquement. Ce n'est, hélas, pas demain que les parages de Mayotte cesseront d'être le plus grand cimetière marin du monde
Wilfrid Bertile Ancien secrétaire général de la Commission de l'océan Indien (COI) Source : clicanoo.re
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