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L’océan des petits Ali

"Un article poignant sur les drames de notre peuple par un journaliste mauricien Nad Sivaramen. Et constater le silence pesant des Gouvernements successifs du pays depuis l'instauration du Visa mortifère dit Visa Balladur, donne envie de vomir"



Des photos de ces milliers et milliers de Syriens qui, au péril de leur vie, ou par réflexe de survie, traversent la Méditerranée, font et refont le tour du monde. On les commente, on les partage, on les «like» pas parce qu’on les «aime» mais en guise de solidarité avec nos semblables. Afin de ne pas être en reste avec les problèmes contemporains, afin de rester branché parce que demain cela pourrait être notre sort, qui sait ? C’est tout le paradoxe ! Ces photos-là nous font pleurer, réfléchir et font remonter les élans d’humanité enfouis au fond de nous et repoussent toute parcelle de xénophobie : «On pourrait les accueillir chez nous, ces Syriens, du moins quelques-uns...»

Mais à côté de chez nous, bien plus près, au coeur de l’espace COI, des milliers de Comoriens vivent un drame migratoire quasi similaire, depuis plusieurs décennies, sans qu’on s’en émeuve outre mesure. Les naufrages des kwassa (ces pirogues de pêche qui font office de taxis-marron pour migrants comoriens) et les corps qui coulent dans notre océan ou qui flottent aux abords de Mayotte sont réduits à des faits-divers, souvent des entrefilets qu’on reprend de l’AFP. La règle du mort-kilomètre, principe journalistique qui explique pourquoi l’humain s’intéresse davantage à ce qui se passe à côté de chez lui qu’ailleurs, est transgressée sans que l’on s’en rende compte.

Bien évidemment nous n’avons pas, dans la région, des antihéros de classe internationale comme un sanguinolent Al Bashir, aidé dans sa tyrannie par un Vladimir Poutine au regard aussi froid qu’une vodka de l’Ukraine de l’Est, mais n’empêche qu’un drame humain reste un drame humain. Une Anjouanaise de 21 ans, ornée de ses bijoux de mariage, qui embarque clandestinement pour Mayotte pour rejoindre son époux qui y travaille – clan destinement parce qu’elle n’aura jamais le titre de séjour (un peu comme les athlètes comoriens aux derniers Jeux des îles à La Réunion) – et qui périt noyée, dans la soirée du 30 octobre, entre ses parents sur une rive et son mari de l’autre est une histoire parmi les 10 000 histoires (qui auraient pu inspirer un Ben Jelloun régional). Dans le ventre gonflé de la jeune femme, un petit Ali allait naître. Pourtant seuls 70 petits kilomètres séparent l’île d’Anjouan de celle de Mayotte. Ce bras de mer est devenu le cimetière marin le moins connu du reste du monde.

Hier, j’ai rencontré Ahmed Mohamed, un propriétaire de kwassa. Il m’a emmené faire un tour sur sa pirogue de fortune et m’a posé la question qui fait mouche : pourquoi les kwassa coulent uniquement entre Anjouan et Mayotte alors qu’ils sillonnent tous les jours les autres îles : La Grande Comore et Moheli ? Je n’ai pas su lui répondre et j’ai été chercher des éléments de réponse à cette question capitale auprès de divers interlocuteurs (d’horizons divers bien entendu) et ils sont troublants. En bref, ceux qui patrouillent les eaux utiliseraient des techniques pour repousser les kwassa que d’aucuns qualifient d’homicide involontaire. Quand, à la faveur de la nuit, à bord de puissants speedboats, vous foncez avec vos feux éteints sur de frêles embarcations trop remplies, vous mettez la vie d’autrui en danger. En plus long et nuancé, c’est un récit compliqué de décolonisation inachevée, de démantèlement territorial d’un archipel et de résolutions onusiennes non respectées (ce qui nous rappelle les Chagos), d’un bilatéralisme ambigu et savamment entretenu entre un pot de fer et un pot de terre, d’imposants gisements d’hydrocarbures en mer, d’intérêts stratégiques et de visions de notre monde. Et quand l’on cautionne ces pratiques, l’on est en droit de questionner notre propre silence. Pourquoi organise-t-on les Jeux à la place des Comores au lieu de les soutenir pour développer leurs infrastructures comme nous-mêmes en 1985 – n’oublions pas qu’on avait alors bénéficié d’un délai de deux ans additionnel pour monter stades et piscine ?! Pourquoi ne disons-nous pas halte au massacre comorien, un peu comme on le fait pour les Syriens, même si on a été conditionné pour regarder ailleurs alors que des petits Ali comoriens meurent tous les jours dans notre océan...

Quelque chose a changé dans la psyché comorienne. Ils pensent entrevoir une lueur au bout de 40 ans de chaos post-indépendance. L’espoir : de récents rapports d’Américains, confirmant la présence d’importantes réserves de gaz et de pétrole dans les eaux profondes de la partie ouest des Comores, limitrophes du Mozambique. Cette manne pourrait les sortir de leur situation socioéconomique critique. Reste alors pour Maurice à souhaiter que les Comores ne finissent pas comme le Soudan du Sud. Quatre ans seulement après leur indépendance souhaitée par la communauté internationale, la plus jeune nation du monde offre un spectacle désolant précisément à cause du pétrole : 50 000 personnes ont été tuées dans une guerre civile qui a embrasé le pays et la sous-région. Quelque 12 000 enfants ont été recrutés de force dans des groupes armés, une dizaine de journalistes assassinés, la plupart des puits de pétrole sont au milieu des zones de combat...

Est-ce un tel océan Indien que l’on souhaite... Pourquoi ne nous serrons-nous pas les coudes alors, au nom de l’amitié, de la solidarité et de l’océan qui nous unit ?

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