Masiwa a ouvert opportunément un dossier dans son numéro du
3 août. C'est un début et c'est dans cette optique que je souhaite apporter mon
témoignage avec pour perspectives les enseignements à tirer. Car cette période
appartient à l'histoire, il convient de dépassionner les échanges et de
s'efforcer de s'approprier cette expérience pour les combats à venir.
Le contexte de
l'époque
Je pense qu'il faut partir de la mort de Said Mohamed Cheikh
(SMC) à la fin de l'année 1970. Le prince Said Ibrahim (PSI) succéda tout
naturellement à SMC. La configuration politique se présentait ainsi :
Le camp du pouvoir était composé par les "blancs"
qui étaient toujours au côté de PSI, des "verts", ceux qui étaient
toujours au côté de SMC et qui détenaient le pouvoir puis d'autres comme ASM.
La cohabitation était difficile les
"verts" n'avaient plus l'influence d'antan, ne parvenaient même pas à
déboulonner ASM qui faisait figure de lieutenant du PSI.
Le camp de l'opposition était composé par le PASOCO, le
MOLINACO-PEC et le RDPC de Mouzaoir Abdallah.
La question principale de l'heure : l'accession du pays à
l'indépendance. Pour PSI et ASM, la stratégie était claire : "sans
indépendance économique, pas d'indépendance politique". L'indépendance est
donc une perspective à moyen terme. Il faut développer l'économie du pays,
former des cadres, etc.
Le PASOCO et le MOLINACO-PEC, les forces les plus investies
dans la lutte de libération nationale, soutenaient que ce que la France n'avait
pas fait en plus de 100 ans de domination, elle ne le fera pas en quelques
années. Et puis la France n'a aucun intérêt à notre libération, au contraire.
Le développement économique et social du pays ne sera que l'œuvre des Comoriens
indépendants. Il ne faut donc plus perdre du temps.
Les autres forces, en particulier le RDPC, n'avaient pas de
position claire. L'opposition au pouvoir faisait office de stratégie.
Pour sa part le MPM de Marcel Henry virulent sous SMC, avait
lâché un peu de lest dans son opposition au pouvoir central tout en restant
fidèle et conséquent dans son combat pour "Mayotte département français".
Le mouvement indépendantiste croissait et menaçait le
colonialisme français.
Fort de son expérience, la France a réagi pour désamorcer la
bombe. Elle changea son fils d'épaule. La stratégie fut de mettre en selle
Ahmed Abdallah Abdérémane (AAA) pour une indépendance "dans l'amitié et la
coopération avec la France". PSI fut donc destitué par une motion de
censure. "Verts" et RDPC s'unirent dans un vaste rassemblement au
stade de Moroni pour créer l'Udzima et sceller le sort de notre indépendance.
Les années 1972-1975
La mise en route de la stratégie française entraîna une
redistribution des cartes.
Le PASOCO était désarçonné puisqu'il n'avait aucune réponse
crédible à "l'indépendance dans l'amitié et la coopération avec la
France". Le parti avait chanté l'indépendance, mobilisé autour de valeurs
sans en donner un contenu vivant adapté aux circonstances. La rupture entre le
PASOCO et le MOLINACO qui avait créé sa propre antenne dans le pays (PEC) n'arrangeait
pas la situation.
L'ASEC qui commençait à apparaître sur la scène patriotique
systématisa six conditions pour une indépendance véritable et proposa de créer
un Front Patriotique Uni autour du PASOCO sur la base des six points. Une
pierre jetée à la mer vite oubliée.
Le pouvoir était maintenant aux mains des "verts"
devenus "bleus". Le RDPC fut peu à peu marginalisé au fil des mois.
Les accords de juin 1973 signés, l'accès à l'indépendance était acquis, la
lutte pour le pouvoir était engagée et AAA était déterminé à s'en emparer seul coûte
que coûte.
L'opposition était constituée par UMMA-MRANDA dirigé par
ASM, une fraction du RDPC qui refusa l'unité avec les verts avec Abas Djoussouf
et le Dr Tourqui en tête, le PASOCO et le PEC.
Peut-on parler d'une unité de la gauche ? Je crois plutôt
que l'on doit à la vérité de considérer que le seul lien à tous ces partis
était l'opposition résolue à AAA. Même l'idée d'indépendance ne me semble pas
pouvoir être avancée comme un élément unificateur de ces organisations. A
l'ASEC, on avait analysé les discours d'ASM de cette période, jamais il n'avait
parlé du colonialisme français.
Les oppositions constituèrent peu à peu le FNU sans que l'on
puisse distinguer une autre base d'unité que l'opposition à AAA. Tout était
dirigé contre AAA, mieux on en appelait à la France pour jouer un rôle de
contrepouvoir face à la dictature d'AAA. Rien d'objectif ne peut amener à
croire que le FNU se plaçait sous une forme ou une autre sous le leadership de
PSI et qu'il militait pour son retour au pouvoir.
Pour sa part, le MPM, fidèle à lui-même fit semblant de
rejoindre l'opposition sans jamais intégrer le FNU et poursuivait son combat
d'arrière-garde. Il disparut de la scène politique nationale. L'indépendance
dans l'unité semblait acquise. AAA croyait aux engagements officiels des
dirigeants français assurant respecter la charte de l'ONU sur les frontières
des pays au moment de leur indépendance. Pour sa part l'opposition croyait que
le MPM était dans son camp, sous estimait l'acharnement du clan Marcel Henry à
maintenir Mayotte sous domination coloniale.
Le MPM eut donc les coudées franches pour mener sa
propagande mensongère en France. Il réussit à se rallier les barons du RPR
(Debré, Messmer) et des dirigeants des milieux extrémistes de droite. Un lobby
puissant anti comorien fut constitué en France et allait peser sur les
positions du parlement français.
Le coup d'Etat du 3
août 1975
A la suite de la consultation du 22/12/1974 durant lequel
les Comores optèrent à plus de 95% pour l'indépendance, le parlement français
adopta le 03/07/1975 une loi qui ouvrait la porte à la sécession de Maore.
Excédé par les manœuvres de la France, AAA, qui sentait son pouvoir menacé,
proclama l'indépendance unilatérale le 6 juillet.
Le 3 août fut incontestablement la réponse de la France.
S'agissait-il d'un coup d'Etat du FNU ? Certainement pas. La
plupart des dirigeants du FNU l'ignorait. En tout cas Abdoubakar Boina, leader
historique du MOLINACO l'a appris dans la rue comme il me l'a affirmé. Il semble
par contre que Marcel Henry était au parfum. Il aurait même accompagné ASM à
l'aéroport de Paris lorsqu'il rentrait réaliser le putsch.
Etait-il question de remettre le PSI en selle ? Son nom a pu
circuler durant les négociations pour constituer le Conseil National de la
Révolution (CNR), peut-être que ses partisans le souhaitaient mais ce n'était
certainement pas la position de tout le CNR. La cooptation de Said Mohamed
Jaffar me semble une solution de compromis pour unir ce qui pouvait l'être pour
passer un cap.
En tout cas c'est ASM qui a dirigé en personne l'opération
et qui après détenait la réalité du pouvoir.
Comment la France l'avait-t-il
choisi? Toutes les hypothèses sont envisageables. Il avait été certainement
repéré comme une carte susceptible d'être utilisée. C'était un ancien ministre
tout de même. Il a pu bénéficier de l'appui du PSI. Il reste que le principal
bénéficiaire du putsch c'est lui. Et c'est ainsi qu'il a pu s'emparer du
pouvoir.
Un vote au CNR ! Ca ne pouvait être qu'une formalité. Le CNR n'avait
aucune légitimité pour désigner le Chef de l'Etat. Il est néanmoins certain
que la disparition du PSI y a contribué. Il parait donc approprié de considérer
le putsch du 3 août comme l'œuvre d'ASM.
Ce putsch me semble-t-il a porté un coup de massue à l'Etat
comorien. Il ne s'en est pas encore relevé.
Ce putsch a ouvert la voie à la
multitude des putschs subis par le pays, il a ouvert la voie à Bob Denard et
aux mercenaires. La succession des putschs a marqué les esprits des citoyens comoriens.
Le pouvoir ne repose pas sur l'adhésion du peuple, on s'en empare par la force.
Les Constitutions, les lois ne sont que des trompes l'œil. Seul le Chef est
dépositaire du pouvoir. Il nomme qui il veut où il veut quand il veut. Telles
sont les caractéristiques de l'Etat comorien à peu de choses près.
Période
révolutionnaire ?
Peut-on parler de révolution sans organisation
révolutionnaire ?
Après le putsch, toutes les organisations politiques disparurent de fait. Même Mranda sur lequel ASM s'appuyait. Petit à petit ASM élimina tous ceux qui pouvaient contester son pouvoir ou montrait des velléités d'opposition à ses décisions. ASM ne créa pas de mouvement organisé autour de lui. Les comités ne constituaient pas une organisation structurée. ASM les utilisait pour organiser ses séminaires et réprimer les simples gens avec les débordements que l'on sait et qu'il ne pouvait pas contrôler. Il n'est pas exagéré de parler d'un pouvoir personnel que rien ne limitait.
Dans ce genre de circonstances peut-on parler de révolution
quelles que soient les intentions d'ASM ? La phrase révolutionnaire, l'air du
temps en Afrique (à l'ASEC, on parlait d'une période pseudo révolutionnaire
avec les Kérékou au Benin, Ngouabi au Congo, Ratsiraka 1 à Madagascar, etc.) et
des mesures radicales suffisent-elles à caractériser la situation de
révolutionnaire ?
Je rappelle que pendant une période, après le 2ème
putsch qui vit AAA revenir au pouvoir, quiconque parlait de révolution était
violemment rejetée par la population.
Quel bilan de la
période "soilihiste" ?.
On doit rendre un hommage à ASM pour s'être rebellé contre
la France lorsqu'il comprit qu'il avait été le jouet des Français sur la
question de Maore. En septembre 1975, une forte délégation du CNR mena des
pourparlers avec la France et là, ce fut la douche froide. Les commanditaires
du putsch du 03/08/1975 marchaient sur leurs engagements, le MPM montra son
vrai visage. Maore restait sous domination française. Alors qu'ASM savait ce
qu'AAA a payé pour avoir osé s'opposer à la France sur la question de Maore,
ASM n'hésita pas.
Il faudra maintenant analyser sa politique en la matière pour
mieux comprendre l'échec.
ASM a aussi engagé des réformes profondes après sa rupture
avec la France.
·
La construction d'un Etat comorien enraciné dans
l'environnement comorien mérite à cet égard tout notre intérêt : moudrias
régionaux regroupant plusieurs villages en évitant les frustrations (midji mihu
na mititi), rapprochant les citoyens de l'Etat, jouant un rôle économique salutaire,
etc.
·
Une réforme agraire judicieuse qui brise les
rapports de productions féodales, augmente la rentabilité, promeut les produits
nationaux comme la farine de maïs, etc.
·
Une bataille contre les mœurs éculés pour
remettre tout le monde au travail, tourner le dos aux dépenses ostentatoires et
nuisibles des grands mariages.
·
Un engagement à promouvoir la culture nationale,
langue, chansons, etc.
·
Les conditions de vie des simples gens s'étaient
sensiblement améliorées et Dini Nassur a raison de dire que notre pays a prouvé
qu'il pouvait se passer de la France.
Le passif me semble pourtant l'emporter largement.
·
A son arrivée au pouvoir, la balkanisation
menaçait, à son départ elle était consommée. On peut même soutenir que son
putsch a favorisé la sécession de Maore, un des résultats que la France
escomptait du 03/08/1975
·
J'ai donné mon avis sur la construction de
l'Etat comorien après l'instauration du cycle des putschs.
·
Les changements radicaux produits ont disparu
d'un coup comme une trainée de fumée. Même les femmes ont spontanément remis
leurs "bwibwi", les grands mariages ont repris comme s'il ne s'était
rien passé. Pourquoi cela ? L'attitude d'AAA d'éradiquer tout ce qui pouvait
rappeler ASM n'explique pas tout.
·
La révolution est associée à la violence, à la
répression alors qu'au contraire elle doit évoquer plus de liberté, une union
de plus en plus large autour de valeurs de progrès économique et social. La
révolution doit être menée sous la conduite d'une organisation révolutionnaire
qui met en œuvre une stratégie libératrice. La révolution doit libérer les
"en-bas-de-en-bas" et entraîner les autres vers une société où il
fait bon vivre, où chacun peut donner le meilleur de lui-même.
Les critiques contre les positions de l'ASEC sur la période soilihiste
sont nombreuses. On nous a même accusés de collusion avec AAA. On utilise la
déconfiture actuelle du FD pour avancer tout et n'importe quoi.
Je crois cependant que nous (les dirigeants de l'ASEC de
l'époque) avons commis des lourdes fautes. Nous manquions de maturité et
notre éloignement du pays compliquait encore les choses.
Avec le recul, je
crois que nous aurions dû soutenir AAA quand il dénonçait les manœuvres
françaises visant la balkanisation du pays. De même nous aurions dû chercher à
nous rapprocher d'ASM quand il s'est rebellé contre la France. Cela mérite
analyse plus profonde que ne permet pas le cadre de cette contribution.
ASM sera toujours un des Chefs d'Etat le plus marquant de
notre histoire et son court règne recèle plein d'enseignements que les jeunes
doivent intégrer dans leurs combats à venir.
Commentaires
Je suis curieux de prendre connaissances des réussites de ce guide de la révolution Le Che ASM pour faire de ces leçon de pouvoir un potentiel de développement. Je suis persuadé que notre cher pays changera en fonction de ce que nous allons décider.
Cordialement,